CLIMAT, BIODIVERSITE, SANTE : PLACE AU LEADERSHIP FEMININ
«The Gender Imperative: Re-imagining Climate Action”
Interview Women’s Forum
Selon vous, quel est le rôle des femmes dans la lutte contre le changement climatique ?
La nécessité d’interroger le rôle spécifique des femmes dans la lutte contre le changement climatique est en soi le signe de plusieurs profonds déséquilibres. À commencer par une inégalité des sexes toujours criante à l’échelle du monde qui se mesure à un indicateur emblématique : 70% des personnes vivant avec moins d’1 dollar par jour sont des femmes.
Cette inégalité structurelle en génère une autre : dans les pays en développement et régions rurales, les premières victimes du phénomène climatique sont les femmes. Plus le rôle de la femme est central pour la substance de la famille, souvent au mépris de l’égale répartition des tâches, plus elles sont impactées par un péril qui durcit les conditions d’exploitation des ressources, d’approvisionnement en nourriture et en biens, et de gestion de la vie du foyer.
Au Kenya par exemple, les femmes peuvent passer jusqu’à 3 ou 4h par jour à collecter du bois de cuisson, une ressource de plus en plus rare sous l’effet conjugué de la déforestation et du changement climatique, dont le brûlage expose de surcroit leur santé. Et ce sont elles qui sont majoritairement engagées dans les programmes de coopération, comme le Hifadhi-Livelihoods project*, qui propose des alternatives de cuisson moins laborieuses et moins émettrices de CO2.
Si les femmes sont les premières victimes, elles sont donc aussi les premières porteuses de solutions. Mais ce rôle est peu reconnu, sur le terrain comme dans les sphères politiques et diplomatiques, puisqu’elles ne représentent à titre d’exemple que 30% des membres au sein de la conférence des parties de l’ONU. Une situation intolérable.
Quel est le rôle du leadership féminin dans le lien entre la crise COVID-19 actuelle et le changement climatique?
Le lien entre la crise sanitaire et le changement climatique est complexe, parce que collatéral et multidimensionnel (climat, biodiversité, santé) ce qui nous expose aux raccourcis et aux biais cognitifs. Dans cette situation – et sans stigmatiser à l’inverse le genre masculin ni idéaliser le genre féminin -, je suis convaincue que le leadership féminin a de nombreux atouts pour appréhender cette complexité, en naviguant avec plus de souplesse dans un contexte économique politique et scientifique encore très segmenté et dogmatique. On peut être d’ailleurs frappé que les femmes n’aient pas eu meilleure tribune dans une couverture médiatique qui a privilégié les paroles masculines. On entend encore trop souvent qu’il est plus difficile de solliciter des personnalités expertes féminines. Mais ce n’est qu’une question de volonté. En matière d’égalité des sexes, il en va comme dans tout autre domaine impacté par la crise que nous traversons : nous devons remettre profondément en question nos façons de faire, empruntes d’habitudes et de schémas pré-établis, pour repenser une matrice (mot féminin !) harmonieuse.
Quelles sont les actions que vous ou votre organisation avez menées pour lutter contre le changement climatique ? Comment le genre a-t-il joué un rôle dans ce domaine ?
L’agence Parangone (féminisation de la pierre de Parangon, utilisée en joaillerie pour tester l’authenticité d’un métal précieux) a été créée il y a 10 ans avec l’ambition d’accompagner les organisations dans l’intégration des objectifs de développement durable et de responsabilité sociétale. La question climatique y est évidemment centrale. Le rôle de notre agence a été d’appréhender le sujet avec beaucoup d’exigence de documentation technique pour être en mesure d’orienter nos clients vers des approches alignées avec la science et intégrant des solutions concrètes de terrain. Si le panel de ces solutions était très limité il y a 10 ans, il est aujourd’hui beaucoup plus fourni et je suis frappée de constater que les jeunes entrepreneuses y prennent une place importante, avec beaucoup d’énergie. Notre rôle est aussi de promouvoir et de porter la voix de ces jeunes femmes qui affirment un vrai leadership, souvent en conciliant transitions environnementale et digitale, comme Maria Rucevska, fondatrice de TechChill and Helve ou Elodie Grimoin, fondatrice de Urban Canopy.
J’ai d’ailleurs créé il y a deux ans COP Runner, un programme de social videos qui donne la parole à celles et ceux qui mettent leur expertise et leur sens de l’innovation au service de cette cause, à la fois environnementale et solidaire. Une trentaine de portraits féminins ont été réalisés depuis 2018 : innovatrices, auteures, cheffes d’entreprises et responsables responsabilité sociétale, fondatrices de start-ups, expertes climat, nature-based solutions et finance responsables…
Concernant l’égalité homme/femme, notre agence est très exigeante dans ses missions de conseil, pour intégrer systématiquement l’objectif de développement durable 5 de l’agenda des Nations-Unies, et dans ses missions d’animation d’événements ou de réseaux pour respecter strictement les conditions de parité. Nous devons encore trop souvent pointer la disproportion entre la représentation féminine et masculine…et parfois refuser des missions, ou réorienter le sourcing.
Enfin, l’agence a développé un modèle inspiré du mentorat pour aider des jeunes au profil prometteur à se former aux métiers du conseil RSE et à l’entrepreneuriat. Cette année 2020, nous avons exclusivement accompagné des jeunes femmes qui sont aujourd’hui des talents précieux de l’agence.
Quelles mesures devons-nous prendre pour créer un monde durable et égalitaire dans les dix prochaines années ?
La crise du COVID 19 ne sera pas la seule situation de télescopage de crises environnementales et sanitaires. Elle constitue un « tipping point » pour basculer vers un modèle économique et sociétal durable et inclusif pour affronter les prochaines.
Le modèle sur lequel nous avançons depuis plus d’un siècle ne fonctionne pas. Parmi les caractéristiques de ce modèle social et économique, il y a celle d’avoir été essentiellement été pensé par et pour les hommes alors que les femmes représentent 52% de l’humanité. Et « plus on s’élève dans l’échelle sociale, moins il y a de femmes » résume efficacement Feu Wangari Maathai*.
Réinventons un nouveau modèle avec, par et pour les femmes. Nous devons sortir de cette crise par le progrès, non seulement par l’intégration systématique de enjeux environnementaux et sociaux dans les stratégies économiques et financières des entreprises et des territoires et la sanction de l’écocide, mais aussi sur l’objectif radical de parité homme/femme au sein de tout organe de représentation et de décision, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou internationale. Cela passe par des mesures volontaristes, de politiques nationales, européennes et internationales, une législation plus coercitive, la place centrale de l’ODD 5 dans les stratégies de responsabilité sociétale des entreprises, le renforcement des programmes de coopération internationaux. Enfin, dans un contexte où nous manquons encore cruellement d’expertise technique pour faire et mettre en œuvre les solutions de la transition, osons prendre de vraies mesures pour former des « ingénieuses », pour reprendre le terme de Chiara Corrazza !
Je salue à cet égard le travail extraordinaire mené par le Women’s Forum et en particulier l’initiative de la Charte d’engagement pour les femmes et le climat que j’incite fortement à signer.
*Lauréate nigérienne du Prix Nobel de la Paix
Vanessa Logerais, fondatrice de l’agence Parangone et de COP Runner
Nous vous demandons de terminer votre article par un appel à l’action pour signer la Charte d’engagement sur le climat du Women’s Forum http://sgiz.mobi/s3/Charter-for-Engagement-on-Women-Climate
*Le projet Hifadhi-Livelihoods est développé et financé par le Livelihoods Fund, en partenariat avec EcoAct et sa filiale Climate Pal